Portrait de femme : N’zua Enam

N’zua, tu te présentes comme étant autrice indépendante depuis 2021. Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours et comment l’idée de faire de l’écriture ton métier t’es venue ?

Au début, j'écrivais pour moi. Je ne le disais à personne. Pas même à mes proches. C'était un peu mon activité secrète. Ma bulle ou mon échappatoire.

Mon activité salariale me plaisait mais je n’étais pas épanouie. La trentaine approchait et je me disais que ce n’était pas possible. Je devais trouver quelque chose qui fasse sens dans ma vie.

Voilà comment j’ai à nouveau ouvert la porte à l’écriture. Une porte que j’avais fermée durant beaucoup trop d’années. J’avais retrouvé la clef et comptais bien la conserver, cette fois !

Dans ma tête, l’idée d’écrire un roman s’est rapidement imposée à moi. Néanmoins, je restais sur la réserve. On ne sait jamais si on peut venir à bout d’un tel projet. Je me suis donc dit qu’il valait mieux ne pas en parler. Premièrement, ça me permettait d’éviter les questions du type “alors ce roman ça avance ?” “Tu es sûre que tu vas y arriver ?” Ensuite, ça me laissait une porte de sortie au cas où ce roman ne voyait pas le jour. J’étais tranquille. Personne ne savait et si je n’y arrivais pas, c’était une information qui resterait entre moi et moi !

Pendant environ un an, j'ai travaillé sur ce projet dans la plus grande discrétion sans vraiment savoir où j'allais. Je buvais les conseils d'écritures d'autres auteurs. Je me suis beaucoup documentée. Cependant, je n'avais pas encore de style ou de plume. J'imaginais simplement des histoires, je construisais des scénarios (qui ne tenaient pas vraiment la route, on ne va pas se mentir). 

Un beau jour j'ai eu envie "d'assumer" ma passion et de la partager. J'ai donc créé un compte Instagram ! J'ai commencé à partager mes textes et des chroniques littéraires. En parallèle, je bossais sur un manuscrit. J'avançais plutôt bien, il s’agissait  d’une sorte thriller futuriste (à des années lumières de ce que j'écris aujourd'hui). J'ai partagé quelques chapitres à des proches, ça leur a plu !

Ensuite, j'ai eu besoin de faire une pause. Le besoin d’arriver au bout d’un projet prenait de l’ampleur. Le roman en cours avançait, mais je ne voyais pas le bout. Je manquais de vision. C’était long !

C'est comme ça que mon premier ouvrage est né : un recueil de nouvelles. J'avais commencé par les partager sur Instagram. Une amie m'a dit "franchement tu devrais les vendre, elles sont trop biens". Alors je continue à en écrire et à les partager. Je me rends compte qu'elles plaisent, que ma communauté est au rendez-vous. Petit à petit, ça y est. Je trouve mon style,  MA plume. 

J’ai envie de concrétiser ce que je fais. Je m’informe sur l’édition. Et je découvre l’auto-édition. Une voie qui permet d’éditer ses livres soi-même. C’est parfait pour moi ! Je suis libre d’écrire ce que je souhaite et surtout, je n’ai pas besoin de la validation de qui que ce soit.

Je me forme, m’inspire d’autres auteurs indépendants. Quelques semaines plus tard, je décide de me lancer à mon tour ! Je fais appel à une correctrice professionnelle, un illustrateur. 

J'ai choisi de publier mon livre sous un nom de plume, voilà comment N’zua Enam fait ses premiers pas dans l’auto-édition. 

Tu écris principalement des chroniques, nouvelles et romans. Quels sont les thèmes que tu abordes ?

Les sujets que j’aborde sont variés. J’aime dire que je suis une autrice qui “explore des tranches de vie”. C’est ce qui me passionne le plus dans ce métier. L’idée de me plonger dans d’autres vies. De les décortiquer, de me documenter et d’apprendre. 

Mon recueil de nouvelles offre une palette très large des sujets que je peux aborder. À titre d’exemple, en voici quelques uns : la cécité, le non désir d’enfant (chez l’homme), la maternité, la prostitution, l’alzheimer, les violences conjugales, l’infidélité ou encore la dépendance affective…

Si je devais résumer le tout en une phrase je dirais simplement que j’aborde des thématiques auxquelles je suis sensible et j’écris la vie. 

D’où te vient l’inspiration et quels sont tes procédés d’écriture ?

Comme je disais, l’inspiration me vient de ce qui me touche. En d’autres termes, ma sensibilité et mon empathie influent directement sur ma manière d'écrire. Mon inspiration découle donc de mes lectures, des films que je regarde, de mon entourage, de mon environnement mais surtout des causes qui me tiennent à cœur. Je pense que j’écris aussi pour ça. Pour véhiculer des messages à travers la fiction et des personnages qui pourraient ressembler à n’importe qui.

Ma plume est très imagée et poétique. Je fonctionne beaucoup avec des métaphores et des comparaisons. Ça me vient naturellement, ce n’est pas quelque chose que je fais consciemment. C’est ma touche personnelle. J’aime aussi jouer avec la ponctuation et les phrases courtes pour donner du rythme à mon récit et un effet de variation. Je joue également avec la personnification en donnant un aspect humain à des choses ou à des notions abstraites. En somme, les procédés d’écriture sont des outils que j’utilise pour m’amuser avec les mots avant tout. Je ne suis pas dans la démarche de l’autrice qui cherche à tout intellectualiser.

À côté de ta vie d’autrice, tu as aussi ta vie de maman. Quels sont les défis auxquels tu fais face et comment les surmontes-tu ?

C’est une très bonne question car finalement, je ne peux pas détacher ma vie de maman et ma vie d’autrice. Honnêtement, c’est l’un de mes plus grand défi. En toute transparence, c’est très difficile. L’écriture demande une rigueur et une discipline au quotidien. Lorsqu’on exerce une autre activité en parallèle, cela devient d’autant plus compliqué de tout gérer. Je ne suis pas une personne de nature organisée mais lorsque je travaille sur un manuscrit, je n’ai pas d’autre choix que de l’être. D’abord, il n’y a que lorsque mon fils est couché que je peux réellement travailler. Donc je m’organise en fonction de son sommeil. S’il y a des soirs où il prend plus de temps pour s’endormir, je prends le temps qu’il faut pour être avec lui. Je ne laisse en général pas mes impératifs de côté. Si j’ai prévu d’écrire, je le ferai. 

Il faut savoir faire des choix également. Quand j’écrivais mon premier roman, je me suis soumise à un rythme intense, surtout durant les dernières réécritures. 

Je ne culpabilise pas. L'écriture, en plus d’être une passion, fait partie de moi et participe à mon équilibre. Je sais que je fais de mon mieux, je suis la meilleure mère pour mon enfant et c’est tout ce qui m’importe. 

Selon ton expérience, quelles sont les réalités des femmes noires dans le monde de la littérature et de l’édition ?

Pour le moment, j’avoue ne pas avoir suffisamment de recul pour répondre à cette question. Cela ne fait qu’un an que j’ai commencé mon activité.

Ce que je peux dire toutefois, c'est que la représentation des personnes noires est importante pour moi. On ne parlera pas de nous si nous ne le faisons pas nous-mêmes. Et puis surtout, nous sommes les mieux placés pour le faire. Maintenant, je trouve ça désolant de devoir le “justifier”. La couleur d’un personnage n’est pas toujours là pour apporter quelque chose à l’histoire. Cela n’a pas besoin de de devenir “un sujet” dans l’intrigue. On peut s’en servir pour véhiculer deux ou trois idées (c’est ce que j’ai fait dans mon roman) mais le fait que deux des personnages principaux soient noirs est presque anecdotique. Il n’y a pas systématiquement un but dans le fait d’inclure des personnages racisés. Personne ne m’en a fait la remarque d’ailleurs. J’en suis contente. C’est aussi ma manière de normaliser notre présence (encore rare) dans la littérature. 

Aurais-tu des conseils aux personnes qui ont un éventuel projet d’écriture (moi par exemple lol) ?

Un jour quelqu’un m’a dit : « Écris et ta passion fera le reste. »

Alors j’écris. Pour raconter les autres. J’emprunte des chemins que je ne connais pas. Sur les routes de vies parfois dans le noir. J’allume mes fards quand je conduis ma plume en pleine nuit, et je me laisse éblouir par la lumière des histoires que mes yeux capturent.

Tu l’auras compris, se lancer dans un projet d’écriture demande de la rigueur. La motivation ou l’envie ne suffisent pas. Ils te permettront d’écrire un plan, de commencer les premiers chapitres, sans doute. Mais c’est tout. Il y aura des jours où tu n’auras aucune envie de t’asseoir devant ton ordinateur. D’autres où l’inspiration aura pris possession de toi !

Cela étant dit, il est important de savoir pourquoi tu écris. Est-ce que c’est pour être lu ? Est-ce que c’est pour toi ? Est-ce que tu aspires à publier ton livre un jour? etc. Ces réponses te permettront de te positionner devant ton propre investissement face à l’écriture. Si tu écris pour toi dans un premier temps, rien ne sert de se mettre une quelconque pression. Néanmoins, même si on souhaite être publié, il faut écrire pour soi avant tout. Choisir un sujet “vendeur” pour des raisons de marketing est un choix. Un choix que le lecteur pourrait ressentir. 

Je finirai sur les mots de l’auteur Joffrey Gabriel :

« On peut se le dire une bonne fois pour toute que c'est difficile d'écrire ? Que ça demande une force intense de puiser à l'intérieur de soi, des questionnements sans cesse, un besoin de reconnaissance absurde, une discipline de fer, une motivation inégalée, une constance, des larmes, de la fierté, du courage, de la peine, du sang plutôt que de l'encre. Oui, du sang plutôt que de l'encre. »

Ces mots peuvent paraître difficiles mais ce sont les plus justes à mon sens. Il est donc important d’avoir conscience de ce qui se cache derrière les coulisses des “Bravo pour ton livre” lorsqu’on s’engage dans un projet d’écriture. 

Pour finir, tu viens de sortir ton roman « Maman va-t’en ! », et je t’en félicite ! Quels sont tes projets à venir et que souhaiterais-tu accomplir dans les prochaines années ?

Merci beaucoup ! La concrétisation de ce roman est une immense fierté pour moi. Surtout en tant qu’autrice indépendante avec tout le travail que cela implique. J’ai déjà le sujet d’un prochain roman en tête, mais je me laisse le temps de porter celui-ci avant de m’y plonger totalement. Après avoir traité les violences conjugales sous le prisme d’un adolescent, je me lance à nouveau au cœur d’un autre sujet sensible : l'acceptation d'un handicap. J’en parlerai davantage au moment venu.

Pour les années à venir, j’aimerais tout simplement continuer à écrire et parvenir à conquérir un lectorat plus large.

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